AWATTO

Ou la générosité qui atténue les différences

Un des principaux défis que nous connaissons en contexte scolaire franco-ontarien est celui des frontières culturelles, dressées entre les différents groupes ethnoculturels qui le constituent. Malgré une volonté politique soutenue à adresser efficacement le problème, les solutions du quotidien se font rares. On continue de constater, autant dans le corps enseignant qu’entre les élèves, des mosaïques qui se créent, preuve d’une faible cohésion sociale, dans laquelle tous nous passons à côté des richesses qu’apporte notre diversité. Nous connaissons très peu d’exemples de pratiques, qui dans notre quotidien, pourraient contribuer à atténuer les différences et à bâtir des rapports sociaux qui servent à la construction de la cohésion sociale recherchée.

Récemment, je longeais la promenade Sussex, en direction de la rue York, avec une personne que je tiens en haute estime. Au détour du chemin, se trouvait devant nous une grande enseigne, qui, lue de l’envers, donnait exactement AWATTO.

M : qu’est-ce que c’est AWATTO ?

E. : Umm, je ne comprends pas… (Elle hésite et observe mon regard pendant que nous avançons)

Quelques pas plus loin et….

M : Ohh c’est OTTAWA ! (rire maladroit mêlé d’embarras…)

Ottawa

E : tu étais donc sérieuse quand tu disais Awatto ?

M : Oui… c’est ce que j’ai vu… de l’envers ça donne effectivement Awatto (oh, non ! elle doit penser que je suis vraiment tarée… j’aurai dû fermer ma bouche…)

Je me pince les doigts à cause de cette grosse bévue…  

E. : Ça me donne l’occasion de constater que tu n’as pas encore visité ce lieu ; est-ce que je me trompe… ?

M : Non tu ne te trompes pas. Effectivement, j’ai déjà été près du marché BY, mais jamais à cet endroit.

E. : Veux-tu que nous fassions un petit tour ? On a du temps devant nous ; nous continuerons notre travail par la suite et nous pouvons même en discuter en marchant… ça te tente ?

M : Oui, oui, avec grand plaisir

Nous sillonnons tout le marché By, et, de comptoir en comptoir, nous souvenirs s’éveillent et se partagent. C’est un merveilleux échange culturel qui nait, alors que j’ai l’impression de longer le marché des acacias de chez moi. Ce lieu me rappelle la simplicité et le bon vivre que je partage avec joie, et, elle, me livre avec joie ses souvenirs familiaux et d’enfance.

En quittant le marché By, que nous avons parcouru deux ou trois fois, nous avons frayé un chemin intérieur, que plusieurs réunions professionnelles n’auraient pas permis.

Nous pourrions attendre que des mesures d’équité et d’inclusion soient votées et implémentées pour voir s’améliorer les rapports sociaux dans bien des écoles. Mais nous pourrions aussi choisir d’être cette inclusion et cette équité pour chacune des personnes que nous croisons, en assaisonnant nos rapports et nos échanges de générosité et de partage. C’est une avenue dans laquelle chaque lecture, chaque approche, chaque pratique, au sein de la communauté éducative, sont porteuses de sens, et peuvent devenir un pont que l’on pose pour réunir nos univers.

Cette avenue, qui mise sur les rapports sociaux que nous entretenons les uns avec les autres, pourrait être une stratégie efficace, permettant de construire un capital social qui enrichit les perspectives individuelles et contribue à la construction de la cohésion sociale. C’est une approche qui a été étudiée en France par Foucauld* (2006). Dans son étude, il met ensemble chômeurs et non-chômeurs, pour engager une discussion autour du chômage et de l’emploi, et bousculer les préjugés qui s’y rattachent. Ce qu’il réussit très bien. Les interactions qui se créent ouvrent aux réseaux professionnels et d’emploi, permettent d’appréhender différemment le chômage et l’emploi, favorisent les conversations autour de stratégies lors de la préparation de CV, etc.

En contexte scolaire franco-ontarien, nous avons le privilège de côtoyer au quotidien, des personnes qui, d’une façon ou d’une autre, pourraient lire AWATTO ou lieu d’OTTAWA. Au lieu d’y  voir de la maladresse  ou sa faible intelligence, ce pourrait être une occasion d’en faire une amie, de construire un pont culturel ou professionnel, permettant à chacun de communiquer, de partager et de se connaitre.

Cette approche est actuellement mise à l’essai à l’association METHIC-EDU.

Je vous invite à explorer avec elle cette avenue, au travers de partages et d’échanges sur des pratiques gagnantes et sur les possibilités de mise en œuvre de cette approche dans votre parcours académique ou professionnel.

Retrouvez-nous en ligne sur methic-edu.ca ou encore sur Facebook @methicedu.

À bientôt !

Marthe FOKA

*Foucauld, J.-B. de. (2006). Le capital social, un instrument pour l’action ? La Découverte. https://www-cairn-info.proxy.bib.uottawa.ca/le-capital-social–9782707148049-page-315.htm